La crise financière engendrée par la covid-19 fait craindre des difficultés pour recourir au financement bancaire. Les banques devraient se montrer plus exigeantes, et solliciter un apport plus important de la part des acquéreurs de fonds de commerce et d’entreprises.
Dans ces conditions, le recours au crédit vendeur apparaît comme une solution intéressante pour contourner le circuit bancaire traditionnel.
Baptiste Robelin, associé du cabinet NovLaw Avocats, spécialisé en droit immobilier et cession de fonds de commerce, vous explique les conditions et formalités pour mettre en place un crédit vendeur dans des conditions sécurisantes pour toutes les parties.
Présentation du crédit vendeur
Avec le crédit vendeur, le vendeur ne perçoit pas la totalité du prix de cession de manière immédiate : l’acheteur va être autorisé à réaliser un paiement différé, échelonné dans le temps.
Le transfert de propriété est en revanche immédiat.
C’est pourquoi, le vendeur participe pleinement au financement de l’opération de l’acquéreur : il lui fait « crédit » en quelque sorte, d’où la dénomination de crédit vendeur.
Notons que le crédit vendeur peut s’appliquer à toutes formes de transaction : cession d’entreprise, de fonds de commerce, de titres ou de parts sociales de société.
Le crédit vendeur : remplacement ou simple complément au crédit bancaire
Les deux options sont possibles : on peut concevoir le crédit vendeur comme une alternative au crédit bancaire : l’opération sera financée intégralement par ce mécanisme.
On peut également prévoir un crédit vendeur en complément d’un crédit bancaire : une partie du financement sera réalisée par un emprunt classique, l’autre partie grâce au crédit vendeur. C’est le cas plus courant.
Généralement, la vente se fait de la manière suivante : une partie du prix de cession sera payée comptant le jour de la signature (habituellement au minimum 50 % du prix) ; l’autre fraction sera donc payée de manière échelonnée, conformément aux conditions du crédit vendeur fixées entre les parties.
Les avantages du crédit vendeur
Il faut bien le dire : le crédit vendeur constitue surtout un avantage pour l’acquéreur, qui va pouvoir financer l’opération avec l’aide de son vendeur.
Le vendeur devra en revanche patienter pour percevoir la totalité du prix.
L’opération représente toutefois un intérêt non négligeable pour le vendeur : généralement, le vendeur aura recours au crédit vendeur s’il connaît des difficultés pour trouver un acquéreur capable de financer l’acquisition du fonds de commerce. C’est malheureusement souvent le cas en période de crise économique comme celle liée au coronavirus.
Le recours au crédit vendeur va donc faciliter l’opération.
En outre, en contrepartie du paiement échelonné, le vendeur percevra des intérêts, afin que l’opération lui soit profitable.
L’étalement de l’impôt sur la plus-value payé par le vendeur
C’est l’une des difficultés posées par le crédit vendeur : le transfert de propriété est immédiat, et le vendeur est donc censé payer immédiatement l’impôt sur la plus-value de la vente, alors pourtant qu’il n’a pas encore perçu l’intégralité du prix de cession.
Pour anticiper cette difficulté, le législateur a mis en place un système permettant d’étaler et de différer le règlement de l’impôt sur la plus-value.
Certaines conditions sont exigées pour être éligibles au dispositif, en fonction de la taille de l’entité concernée, du chiffre d’affaires et du nombre de salariés.
Il est donc conseillé aux parties de demander conseil à leur expert-comptable avant de mettre en place le crédit vendeur, afin d’anticiper les coûts et d’assurer l’optimisation fiscale de l’opération.
Quelles sont les garanties à mettre en place pour protéger le vendeur ?
Dans la mesure où le vendeur /prêteur ne perçoit pas immédiatement le prix de cession, il faut anticiper la situation où l’acquéreur / emprunteur ferait défaut, en ne réglant pas le prix différé aux échéances prévues.
Il est donc impératif de prévoir certaines garanties dans l’acte de cession. On retrouve généralement les garanties suivantes :
Recours au privilège du vendeur de fonds de commerce : formalités et conditions
En cas de recours au crédit vendeur, on met généralement en place un privilège spécial pour le vendeur, appelé privilège du vendeur de fonds de commerce.
Cette garantie confère un droit pour le vendeur de se voir payé par préférence aux autres créanciers sur le prix de vente du fonds de commerce.
L’article L. 141-5 du Code de commerce dispose que le privilège du vendeur de fonds de commerce ne s’applique que sur les éléments du fonds énumérés dans la vente et dans l’inscription.
À défaut, le privilège ne porte que sur l’enseigne, le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l’achalandage.
Les formalités pour inscrire le privilège du vendeur du fonds de commerce s’effectuent auprès du greffe du tribunal de commerce du lieu de situation du fonds.
Attention : la demande d’inscription du privilège de vendeur du fonds de commerce doit être faite au plus tard dans les 30 jours de la signature de l’acte définitif, à peine de nullité (article L. 141-6 du Code de commerce).
Pour constituer l’acte, il faudra réunir les éléments suivants :
- Deux exemplaires du bordereau d’inscription, mentionnant l’inscription, le créancier, l’élection de domicile dans le ressort du tribunal, le débiteur, l’acte (date de l’acte et de l’enregistrement), le montant de la sûreté, et bien sûr, la désignation du fonds de commerce
- Un exemplaire en original de l’acte de vente sous seing privé dûment enregistré ou, le cas échéant, une copie exécutoire de l’acte notarié constatant l’opération ;
- Le règlement de l’opération auprès du greffe.
Le recours à un formaliste ou à un avocat spécialisé est vivement conseillé.
Mise en place d’un nantissement sur le fonds de commerce : formalités et conditions
Toujours dans l’objectif de sécuriser le vendeur / prêteur, on prévoit généralement la mise en place d’un nantissement sur le fonds de commerce, en complément du privilège du vendeur.
Ce sont les articles L. 142-1 et suivants du Code de commerce qui s’appliquent.
En l’occurrence, l’article L. 142-2 du Code dispose que sont seuls susceptibles d’être compris dans le nantissement de fonds de commerce, les éléments suivants : l’enseigne et le nom commercial, le droit au bail, la clientèle et l’achalandage, le mobilier commercial, le matériel ou l’outillage servant à l’exploitation du fonds, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles industriels, et généralement les droits de propriété intellectuelle qui y sont attachés.
Le contrat de nantissement est constaté par un acte authentique ou par un acte sous seing privé, dûment enregistré.
Attention : l’inscription doit être prise au plus tard dans les trente jours suivant la date de l’acte constitutif, à peine de nullité du nantissement (L. 142-4 du Code de commerce).
Là encore, les formalités sont à effectuer auprès du greffe du tribunal de commerce du lieu d’exploitation du fonds, en réunissant notamment les pièces suivantes :
- Deux exemplaires du bordereau d’inscription mentionnant : l’identité du créancier et du débiteur, ainsi que du propriétaire du fonds si c’est un tiers ; la date et la nature du titre ; le prix de la vente,; la désignation du fonds de commerce et l’élection de domicile par le créancier gagiste ;
- Un original de l’acte sous seing privé dûment enregistré ou, le cas échéant, une copie exécutoire de l’acte notarié constatant l’accord des parties
- Le règlement des frais de greffe.
Prévoir un cautionnement solidaire ou une GAPD
Autre garantie habituellement donnée par l’acquéreur / emprunteur au profit du vendeur / prêteur : un cautionnement solidaire.
La caution solidaire est l’acte par lequel une personne – généralement personne physique – se porte garante du remboursement d’une dette contractée par un tiers débiteur. On prévoit généralement ce type de clause pour garantir le remboursement d’un crédit.
En cas de cession de fonds de commerce avec crédit vendeur, c’est habituellement le dirigeant de la société qui acquiert le fonds de commerce qui se portera garant solidaire du remboursement des échéances de paiement par sa structure.
Si l’acheteur / emprunteur souhaite éviter les risques d’un cautionnement, il pourra le cas échéant proposer d’offrir au vendeur une garantie à première demande (GAPD) conclue auprès d’un établissement bancaire.
Clause résolutoire dans l’acte de cession
Si l’acquéreur / emprunteur faisait défaut et ne réglait pas le prix aux échéances prévues, le vendeur prêteur serait en droit de demander la résolution de la vente, en invoquant notamment l’article 1654 du Code civil dont les dispositions sont on ne peut plus claires : « Si l’acheteur ne paye pas le prix, le vendeur peut demander la résolution de la vente ».
Pour aller plus loin, il est conseillé de prévoir dans l’acte une clause résolutoire, applicable de plein droit en cas de défaut du règlement du prix de cession. Cela évitera la discussion devant le magistrat sur l’appréciation de la gravité du manquement.
Le cas échéant, on demandera simplement au juge de constater l’acquisition de la clause résolutoire, éventuellement dans le cadre d’une procédure accélérée, en référé (du moins s’il n’existe pas de contestation sérieuse dans les éléments du dossier).
Prévoir un transport de l’indemnité d’éviction au profit du vendeur / prêteur
Autre hypothèse à anticiper : si le bailleur devait mettre fin au bail commercial attaché au fonds de commerce objet du crédit vendeur, il serait en principe tenu de payer une indemnité d’éviction au locataire. C’est la protection offerte par le statut des baux commerciaux (L. 145-14 du Code de commerce).
Dans cas, si le montant du crédit vendeur n’a pas encore été réglé dans sa totalité, il faudra prévoir dans l’acte une délégation de l’indemnité d’éviction au profit du crédit vendeur, sur la fraction du crédit restant à courir. L’idée est de garantir le règlement du solde du crédit au vendeur, en dépit de la disparition du fonds de commerce à la suite de la résiliation du bail commercial.
Obliger l’acheteur / emprunteur à souscrire une assurance spécifique
Même objectif que celui vu précédemment : garantir le vendeur / prêteur en cas de risque de disparition du fonds de commerce. Pour ce faire, il est conseillé d’obliger le vendeur à souscrire une assurance en cas de sinistre affectant le fonds (en cas l’incendie, dégât des eaux, etc.).
Conformément au contrat, l’acquéreur /prêteur s’engagera à maintenir et à renouveler cette assurance et à justifier auprès du vendeur / prêteur du bon règlement des primes.
Il est recommandé d’indiquer que le vendeur exercera tous ses droits sur l’indemnité d’assurance en cas de sinistre, sans qu’une délégation expresse soit nécessaire conformément à l’article L.121-13 du Code des assurances.
Que faire s’agissant du séquestre du prix du fonds de commerce ?
Pour rappel, en cas de cession de fonds de commerce, le vendeur ne perçoit pas le prix de cession de manière immédiate.
Il existe un principe de solidarité fiscale entre vendeur et acquéreur du fonds de commerce, prévu par l’article 1684 du Code général des impôts. Cette solidarité fiscale s’applique pendant une durée de 90 jours (pouvant être réduite à 30 jours sous condition) à compter de la déclaration des résultats du vendeur et de l’accomplissement des formalités légales de publication. C’est pourquoi on prévoit dans l’acte de cession de fonds de commerce un séquestre du prix de cession (généralement effectué sur le compte Carpa de l’avocat).
Évidemment, la question se pose en cas de paiement échelonné du prix : le séquestre doit-il percevoir toutes les échéances de règlement ? Dans la mesure où le paiement d’une partie du prix est différé, cela prolonge-t-il la mission du séquestre ?
A priori, la question est réglée de la façon suivante :
- Le séquestre conserve la première partie du règlement du prix de cession (celle payée comptant au jour de la signature) et ce, pendant toute la durée légale de solidarité ;
- Si à l’expiration du délai de solidarité, les créanciers n’ont pas formé d’opposition sur le prix de cession, la mission du séquestre prend fin : le prix est remis au vendeur, et les fractions échelonnées restant à courir seront remises directement au vendeur par l’acheteur, sans qu’il soit nécessaire de continuer à passer par le séquestre ;
- Si des oppositions ont été formées entre temps, il appartiendra au vendeur de désintéresser les créanciers opposants (en mobilisant les sommes séquestrées le cas échéant) : à défaut, le séquestre continuera de percevoir le règlement du prix échelonné jusqu’à la levée des oppositions. Il est important de bien préciser l’étendue de la mission du séquestre dans l’acte de cession.